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Immersion dans une ferme de l'Oberfranken: le Schlossberghof

Dernière mise à jour : 22 juin 2019






Une route non bitumée saupoudrée de neige nous emmène jusqu’à la ferme du Schlossberghof en plein cœur de la forêt de Franconie. C’est là, dans le village de Mittelberg (10 habitants et 4 maisons !) que la famille MARTINI s’est installée il y a plusieurs générations. Erwin et Petra, la soixantaine, ainsi qu’Ange, Wwoofeuse malgache sur la ferme depuis décembre, nous accueillent chaleureusement dans leur grande maison.

Ils en ont vu passer des Wwoofeurs ! Depuis 2013, ils en ont accueilli 150 du monde entier. « C’est une façon de voyager tout en restant chez soi ! » nous confient-ils. C’est le dernier de leurs trois fils, Markus (28 ans), qui leur a suggéré l’idée alors que Petra s’était cassé la jambe et ne pouvait plus s’occuper de la ferme comme elle le souhaitait.

La ferme vit essentiellement de l’agrotourisme. Quatre « Ferienwohnungen » ou appartements, internes à la maison, ont été construits par le couple lors de leur installation pour accueillir les touristes souhaitant se ressourcer dans cette région de l’Oberfranken, au nord de la Bavière.


Les divertissements que procurent les animaux ne manquent pas. Entre la trentaine de moutons, la vingtaine de poules, les 4 oies (race locale de Franconie), les 3 canards, les 2 cochons, les 4 chèvres, les 2 chats et le chien, impossible de s’ennuyer ! L’agneau, Michel (nom qui s’inspire de la Wwoofeuse Michelle qui a laissé malencontreusement le bélier avec les brebis…ce qui a eu pour conséquence la naissance non planifiée de 13 agneaux!), qu’il faut nourrir au biberon 6 fois par jour ou Alfredo, le jars qui apprécie énormément les caresses et nous suit partout où nous allons (jusqu’à s’envoler par-dessus la barrière lorsque nous devons le quitter !) ne vous laisseront pas indifférents…

La ferme est certifiée « Bioland » depuis une vingtaine d’années. Bioland est l’association la plus importante de nourriture biologique en Allemagne et les normes pour sa certification biologique excède les normes de l’Union Européenne. La certification “Bioland”? Bien qu’ils ne vendent pas de produits bios hormis de temps en temps des œufs, la certification est importante pour l’image de la ferme auprès des touristes, ainsi que pour les aides qu’ils obtiennent de ce fait.


Bien sûr, les animaux jouent un rôle clé dans l’attractivité de la ferme et la qualité de vie que l’on y trouve. Hormis les moutons, tous contribuent au recyclage des déchets organiques et permettent de préparer le jardin pour le printemps, en ayant un accès à celui-ci pendant l’hiver, en grattant, amendant, se nourrissant de potentiels ravageurs... Les oisons sont vendus à des amateurs de races locales. Les moutons ? Ils sont avant tout là pour la conservation de la race Coburger-Fuchs (menacée d’extinction après la seconde guerre mondiale !) et la préservation des prairies alentours. Celles-ci sont pâturées de juillet à novembre, et sont fauchées une fois par an, pour produire le foin nourrissant les moutons le reste de l’année (50 bottes de foin/an environ). Un mouton adulte mange environ 7kg de foin par jour! De temps en temps, les plus vieux d’entre eux sont abattus pour la production de saucisson pour la consommation familiale. La famille veille au bien être de l’animal jusqu’au bout. Ainsi, la personne chargée de l’abattage vient chercher les moutons le samedi et les tue le lundi afin qu’ils aient le temps de déstresser du voyage. Cela permet de préserver la qualité de la viande.



Vous l’aurez compris: la ferme des Martini n’a pas pour but de produire des bien marchands. Le patrimoine familial qu’est la ferme est d’abord un moyen de préserver un beau cadre de vie, pour eux, leur voisinage et les touristes. Prendre soin de leur environnement, de leur forêt et de leurs prairies est quelque chose de primordial. Leur ferme, c’est aussi la possibilité de préserver des races locales. C’est enfin une solution pour être autonome au maximum en eau (l’eau froide provient de leurs sources, l’eau de pluie est récupérée), en énergie (panneaux solaires en contrat avec la ville pour l’électricité, chauffage au bois) et en nourriture (œufs, fruits, légumes, pain). La tranquillité de cet environnement, c’est selon Erwin un trésor que l’argent ne peut pas donner.


Auprès de mon arbre, je vivais heureux...comme le chante Brassens ;)


Ah…la forêt ! On connaît son importance sur notre bien-être (vive la sylvothérapie…ou « le bain de forêt » !), bien-être généré notamment par les phytoncides (molécules qui font que ça sent bon la forêt ;)). Les MARTINI apprécient leurs forêts de conifères où l’on trouve principalement des épicéas, des douglas et des sapins (à ce propos, lisez « Sapin or not sapin ?! » dans les annexes en bas de l'article). Les 20 hectares de forêt qu’ils possèdent sont exploités pour le chauffage du corps de ferme (tout est chauffé au bois!) ou vendus à la coopérative forestière. Une fois les arbres abattus, le tronc est coupé en stères d’un mètre de large. Puis, ces stères sont passés à la « guillotine », comme aime à l’appeler Erwin, pour les redécouper en 2 ou en 4.


La gestion forestière n’est pas toujours aisée, même si Erwin fait partie d’une coopérative forestière et est le représentant de ses propriétaires. Ces dernières années, du fait de sécheresses répétées, de nombreux épicéas sont morts (cf Annexes « Les épicéas au plus bas : le Käfer dans le viseur »). Erwin plante des essences qu’il pense plus adaptées au changement climatique (thuyas géants, châtaigniers) ; et également des noyers et des chênes afin d’augmenter la biodiversité, gage d’une meilleure résilience. Mais laisser la forêt se régénérer naturellement peut également leur rapporter de l’argent: ainsi, l’Etat leur donne 2000 euros/an pour 3ha de forêt où ils laissent faire Mère Nature.


La fameuse guillotine... ;)

Et quand on ne s’occupe pas des arbres en forêt… on s’occupe avec les arbres fruitiers ! Ces derniers, en bordure de prairies et aux alentours de leur maison, produisent chaque année en abondance pommes, poires, cerises, coings, prunes… Les MARTINI ont ainsi chaque année du jus de pomme pour leur consommation personnelle (produit au sein d’une association biologique) mais également des confitures et des conserves en quantité (coing, sureau, cerises…).



La vision de l’agriculture d’Erwin


D’après la FAO:

- les pâturages et les terres arables consacrées à la production de fourrages représentent près de 80% de l’ensemble des terres agricoles mondiales [2]

- un tiers du total de la nourriture produite et destinée à la consommation humaine est perdue ou bien gaspillée [3].

En regard de ces chiffres, continuer à produire de la nourriture industrielle est un mauvais chemin pour Erwin. Il est essentiel d’estimer la nourriture à sa juste valeur. Les bas prix proposés pour la nourriture industrielle, et notamment pour la viande, incitent davantage le consommateur à acheter et donc à jeter. Il y a suffisamment de ressources pour nourrir l’humanité avec de la nourriture de qualité sous réserve que notre état d’esprit change. Erwin n’est pas contre la production de viande, à condition qu’elle soit diminuée, que le cycle de vie des animaux soit respecté, et que ces animaux ne soient pas modifiés pour les rendre toujours plus dépendants de l’Homme.

Une agriculture durable est pour lui une agriculture régionale, avec des circuits courts entre le producteur et le consommateur. Chaque région devrait être autonome au maximum, pour la production d’aliments, d’eau et d’énergie. Bien sûr, Erwin est conscient que cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain, et que l’autonomie est plus difficile pour les grandes villes. Mais si chaque petite zone capable de le faire se met à l’action, c’est toujours un petit pas de pris. Les petites gouttes d’eau font les grandes rivières comme dit le proverbe. Certes, cela peut être destructeur, comme on le constate avec le changement climatique, mais cela peut aussi être positif.

Un seul modèle agricole? Non: selon les régions, la proximité avec la ville, les partenariats possibles, les pratiques agricoles souhaitées pour augmenter l’autonomie seront différentes. Ce qui est important, c’est de toujours se poser cette question : comment rendre la vie des gens qui nous entourent la plus agréable possible ? Prendre soin de son environnement est une réponse selon Erwin : prairie, forêt, maintien des races locales, du patrimoine. En tant qu’agriculteur, on ne produit pas seulement des biens, on entretient aussi son environnement, et chacun souhaite vivre avec un beau cadre de vie. L’Etat devrait davantage apporter son soutien aux agriculteurs sur ce point.


La vue de la Fränkische Linie depuis leurs prairies

L’économie sociale de marché: un modèle économique défendu par Erwin


En tant qu’économiste, Erwin est un partisan du modèle de l’économie sociale de marché de Müller Armack et Ludwig Erhard. Il s’agit d’une économie qui concilie liberté des marchés et objectifs sociaux. Le modèle (cf Annexes) se base notamment sur :

- la responsabilité de chaque citoyen, considéré comme un acteur économique et social avec des droits et des devoirs.

- le rôle important de l’Etat, qui régule les marchés, veille à ce que personne ne soit au-dessus des règles et ajuste les richesses pour que chacun puisse avoir une vie décente et soit rémunéré selon son travail (en évitant les trop grands écarts de salaires).

Selon Erwin, un marché totalement libre, où 5% des citoyens d’une nation reçoivent 90% de sa richesse seulement en profitant de la loi du marché, n’est pas un chemin pour que chacun ait une belle vie. Un modèle communiste, où l’on trouve une pyramide du haut vers le bas, celui au-dessus décidant de ce que chacun doit faire, ne l’est pas non plus. Nous avons besoin d’un Agenda 2030 plus social ; avec un Etat soutenant la production de produits de qualité ainsi que la qualité de vie.

Une autre problématique de la société est le pas de temps avec lequel les projets sont réfléchis. Les personnes ont trop souvent une vision à court terme, souvent de 3 mois. Un forestier a l’habitude de réfléchir à long terme, en pensant aux prochaines générations. Si chacun pouvait avoir ce regard à long terme du forestier, les choses iraient mieux.


L’avenir de la ferme


Bien que le fils Markus soit présent à mi-temps sur la ferme pour aider, les Wwoofeurs sont nécessaires pour que les activités de la ferme continuent. Cependant, le travail est bien récompensé par l’accueil de la famille, leur simplicité et l’envie de partager leurs connaissances. L’avenir des activités des Martini est plein de projets, avec une reprise familiale par deux des fils, voire par les trois. Chacun s’installerait sur des lieux différents, dans un rayon de 3 km, avec pour objectif de continuer en synergie les différentes activités. Johannes construirait éventuellement de nouveaux appartements dans le village. Matthias poursuivrait l’activité des chambres d’hôtes et du tourisme sur la ferme du Schlossberghof. Quant à Markus, il a acheté une maison avec 1ha de terrain, où il souhaite continuer l’élevage de moutons, et d’autres animaux. Par ailleurs, il aimerait créer des partenariats avec les agriculteurs de la région pour monter un réseau d’entraide et/ou de partages de certaines tâches et faire mieux découvrir aux touristes les spécialités et les différentes activités (saucisson, huile de lin, cosmétiques avec des champignons…). Il aimerait également être à l’avenir membre de la communauté “Slow Food” (qui promeut des produits plus savoureux, responsables et locaux, en opposition à la nourriture “fastfood”, uniforme et mondialisée). Faire de l’agrotourisme en préservant l’environnement et en faisant découvrir la région de Franconie: voilà l’objectif qu’Erwin et Petra ont transmis à leurs enfants !


Marie BAUER et Cécile CAILLAUD


Lors d'une balade dans la forêt de Franconie avec Ange, Erwin, Markus, Matthias, et deux anciennes wwoofeuses!


Annexes:

Sapin or not sapin: https://drive.google.com/open?id=1Oz3PrCc3lImoR8BQNmESljZPSldNZv2d

Les épicéas au plus bas: le Käfer dans le viseur : https://drive.google.com/open?id=1hQUZOFAaXKIv-p-2JRSpJ8EpJh2Y1Rqj

La recette du pain de Petra: https://drive.google.com/open?id=1nXI090V0g90i7q0bV1qs0fzlEZeQBf8AzvoceipIYKU

L'économie sociale de marché, cela veut dire... :


Et si vous avez encore du temps...et envie de rire! ;)

Moutons: https://drive.google.com/open?id=1fsWKBcgNLDizq_34FDH7Aivq6Ivz2ibZ

Oies: https://drive.google.com/open?id=1ahDhuS2jhKHAs0ZaDmxUQTC8vj3lFUnc

Canards: https://drive.google.com/open?id=10j7XNCsvNfz6YH8jfwUemX0nluJbo1dg


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