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Des vaches au lait d'or

A une demi-heure de la ville qui a vu naître le célèbre musicien Mozart, Salzburg, se trouve la ferme de Johanna Gerhalter et de Michael Eder.

La ferme se trouve au fond de la prairie


A Dorfbeuern, la musique, c’est tous les matins, à 5h, avec le chant du coq: kikeriki! Eh oui, le chant de la volaille autrichienne différerait de celui de la volaille française…



Une trentaine de poules mais aussi une soixantaine de vaches et veaux et 10 cochons: voici les animaux qui animent la ferme de ce couple aux trois enfants - dont seule la dernière de 16 ans est encore à la maison. Après avoir habité Vienne pendant 20 ans, Johanna et Michael, tous deux issus d’une famille d’agriculteurs, ont fait le choix de reprendre en 2003 la ferme des parents de Michael, qui ne souhaitaient plus continuer. Une ferme qui est présente sur place depuis le XVème siècle! Johanna travaille à temps plein à la ferme tandis que Michael aide 3 jours par semaine (ou plus lors des pics de travail) puisqu’il occupe en parallèle un poste d’enseignant chercheur en économie à Vienne.



Nous disions donc: kikeriki! Le chant matinal du coq à 5h annonce l’heure de la traite! Les 30 vaches laitières de race Simmental attendent patiemment leur tour pour accéder à la salle de traite qui comprend trois places. Chacune d’entre elle reste sur place entre 3 à 7 minutes puis ressort de la salle de traite pour aller se coucher dans la stalle.



La traite a lieu deux fois par jour - à 5h et à 16h - et dure 2h à chaque fois. Les vaches produisent entre 10 et 30 litres de lait/jour.


“Je ne vois pas la traite comme une contrainte: j’aime ça! Je comprends que cela puisse être difficile pour les fils d’agriculteurs qui ont dû reprendre la ferme de leurs parents et qui n’ont connu que ça. Pour ma part, ce n’est pas le cas: je reprends une ferme après avoir fait beaucoup d’autres métiers.” Johanna

Le tank à lait, contenant la production de la veille et du matin, soit environ 400 litres, est vidé tous les jours. Le lait collecté, classé Gold Standard, est de très grande qualité et est racheté à 58 centimes d’euro le litre par une fromagerie qui en fait du fromage au lait cru.


Prix de rachat du lait aux producteurs laitiers en fonction de la gestion de leur troupeau

(juillet 2019, selon les normes standards des taux protéiques et butyreux)


Remarques:

L’ensilage est une méthode de stockage et de conservation du fourrage par voie humide. Le taux d’humidité de l’ensilage varie entre 50% et 85%. [1] Les bactéries présentes naturellement dans l'ensilage ne permettent pas la production de fromage au lait cru.

La mention “prairie” pour le lait indique que les vaches doivent avoir accès à une prairie au minimum 120 jours/an, un jour correspondant à 2h minimum/jour.


Les vaches sont allongées paisiblement dans leur stalle. Un bruit de moteur leur fait tourner la tête. Un tracteur suivi d’une remorque apparaît à l’angle du hangar: c’est Johanna qui revient de la prairie voisine. Tous les matins, aux alentours de 9h, de l’herbe fraîche est coupée par l’autochargeuse: des disques présents à l’avant du tracteur coupe l’herbe qui est ensuite mise dans la benne directement grâce à un système de pics rotatifs.



“Mädchen!” crie Johanna aux vaches. Les “filles” savent que leur repas est proche. Les voilà qui se lèvent et viennent se mettre en rangs pour accéder au râtelier. Johanna commence par leur donner des concentrés, nécessaires pour l’apport protéique. Ceux-ci sont achetés à l’extérieur, la ferme ne disposant pas de champs pour une culture exclusive de protéagineux. Le prix en bio est deux fois plus cher qu’en conventionnel: le kilo est acheté à 0.50 centimes TTC. Les vaches en consomment 9 tonnes par an. Johanna en donne le moins possible car un excès de concentrés peut entraîner des difficultés digestives.



Après la brouette pleine de concentrés, c’est l’autochargeuse qui rentre en scène: la remorque s’ouvre à l’arrière, faisant tomber l’herbe fraîche. Les poules arrivent alors à toute vitesse: elles se régalent des insectes morts présents dans le fourrage, qui ont été tués lors de la coupe.



Que c’est bon l’herbe fraîche… D’avril à novembre, les vaches en mangent trois rations par jour. Pendant cette période, elles ont par ailleurs accès à la prairie attenante à la stalle tous les jours… ou toutes les nuits en période de grosse chaleur! Les prairies de Johanna ont produit 500 bottes de foin l’année dernière. Ce n’était toutefois pas suffisant puisqu’elle a dû en acheter 100 pour subvenir aux besoins hivernales de ses protégés.


Johanna mesure le taux d'humidité des bottes de foin qui doit être inférieur à 15%. Celles-ci sont séchées grâce à un système de ventilation: de l'air chaud arrive par le sol.


Le couple gère 32 hectares de prairies proches de la maison - les plus éloignées se trouvent à 2km au maximum. 10 hectares leur appartiennent et 20 sont loués. Parmi ces hectares, 5 sont classés espaces naturels protégés: le couple peut toucher des subventions si la fauche est tardive, mesure en faveur des insectes pollinisateurs. Cependant, cette fauche donne un foin de piètre qualité, qui sert de litière ou d’alimentation pour les veaux. Le couple possède également 4 hectares de forêt et 2 hectares de verger.


“ Pour acquérir des terres agricoles, il faut être soi-même agriculteur. Les agriculteurs voisins des terres sont privilégiés pour l’achat, selon une politique visant à favoriser le développement des fermes déjà existantes, et à leur permettre d’augmenter leurs revenus.” Johanna

La ferme est certifiée bio depuis 1986. Il y a quelques années, Johanna a été assez proche de Déméter dont le label certifie des produits issus de l’agriculture biodynamique, un système de production agricole inspiré d’un courant spirituel nommé l’anthroposophie où il s’agit, entre autres, d’adapter son mode de production aux cycles lunaires et planétaires. Cependant, Johanna n’a pas trouvé de groupe d’agriculteurs Déméter proche de son lieu de vie. Or, l’adhésion à un tel groupe est obligatoire pour pouvoir être certifié. En effet, selon le principe de Déméter, les agriculteurs se rencontrent régulièrement pour échanger sur leurs pratiques et chercher ensemble des voies d’amélioration. Pour la production laitière, selon le cahier des charges de Déméter, les vaches doivent garder leurs cornes. Celles-ci sont en effet importantes pour la vache puisqu’elles lui permettent notamment de dégager davantage de chaleur en période de fortes températures.



Le saviez-vous? On peut connaître le nombre de mise-bas d’une vache en comptant le nombre de cernes sur ses cornes! En effet, la corne pousse moins vite lorsque la vache est pleine: l’énergie est en effet mise ailleurs que dans la croissance de celle-ci. A noter également que la taille des cornes donne aussi un indice de l’âge d’une vache puisque celles-ci poussent en continue au cours de leur vie.


Johanna veille au bien être de ses vaches. Elle prend soin à ce que celles-ci se reposent sur une couche douillette. Savez-vous faire le “lit” d’une vache? Dans chaque stalle est disposée tout d’abord une couche de fumier froid, déjà bien décomposée, ceci afin que la zone de repos soit moelleuse. De la poudre de roche topaze est ensuite disposée par dessus afin d’éviter la volatilisation de l’ammoniac. Enfin, du foin de la dernière coupe annuelle donc de moindre qualité est positionné à l’avant du lit: les vaches l’étendront par elles-mêmes sur toute la zone de couche. Tous les jours sont rajoutés des copeaux de bois aux endroits où c’est humide afin d’éviter aux vaches toute infection, notamment aux niveaux des sabots.


Une fois que la vache a mise bas, elle reste une petite semaine avec son veau. C’est un temps important pour l’un comme pour l’autre: la mère s’habitue à ce qu’on lui touche les mamelles, ce qui favorise sa docilité à la traite ensuite, et le veau apprend à téter, ce qui facilite le passage à la tétine, une fois séparé de sa maman.



Les deux veaux nés lors de notre séjour


Après ce temps ensemble, le veau prend place dans un boxe individuel où il reçoit trois fois par jour du lait à 37°C, température lui évitant les maux d’estomac. Il reste dans ce boxe, où il a une vue permanente sur les vaches, le temps que la zone du cordon ombilical cicatrise, à savoir 1 mois en moyenne.



Puis le veau découvre la colocation: il est mis dans une stalle avec d’autres veaux. Si les veaux étaient mis ensemble avant la fin de la cicatrisation de la zone du cordon, ils pourraient s’induire des infections les uns les autres, en essayant par réflexe de téter leurs congénères. Le veau continue à boire du lait jusqu’à ses 4 mois puis ils sont sevrés. Moment de transition difficile mais nécessaire!

Tous les veaux mâles et la moitié des veaux femelles sont vendus avec une masse minimale de 120kg. Une fédération d’élevage (FIH: Fleckviehzuchtverband Inn-und Hausruckviertel [2]) s’occupe du transport et de la vente sur un marché de type Rungis. La plupart des bêtes est vendue à des engraisseurs autrichiens conventionnels. Il y a en effet très peu d’engraisseurs bio en Autriche.

Les génisses non vendues vont 1 à 2 saisons dans les alpages, où elles sont prises en charge par un autre éleveur avec 200 autres vaches. Une saison de transhumance dure de juin à septembre. Le transport jusqu’aux Alpes coûte 600 euros pour 10 vaches et le prix de la transhumance en elle-même coûte 80 euros par vache.


Blanche la viande de veau? C’est que le veau a été nourri avec du lait et éventuellement de la paille jusqu’à son abattage, un régime pauvre en fer qui ne correspond pas à ses besoins naturels: il est anémié. Cette pratique est interdite en agriculture biologique où le veau a également accès à des sources de fibres (foin, herbe) lui apportant du fer, ce qui donne à sa chair une couleur rosée.


L’observation… Une qualité indispensable à tout paysan! Johanna connaît chacune des vaches par son nom. Chaque jour, son sens de l’observation lui permet de savoir quelles vaches sont en chaleur. Comment? Si une vache se laisse chevaucher par une autre sans broncher, c’est qu’elle peut être inséminée prochainement. L’insémination artificielle est réalisée par une entreprise allemande. La visite coûte 16 euros, et la semence coûte de 12 à plus de 80 euros, selon la génétique du taureau choisie.

Lorsqu’elle observe qu’une vache est plus faible, Johanna lui donne de l’homéopathie - un moyen qui préviendrait d’éventuelles maladies.

Et pour être sûre de ne pas être dérangée lorsqu’elle travaille avec ses bêtes, Johanna a décidé de ne pas avoir de portable. Un bon moyen d’augmenter son sens de l’observation!


Au contact des vaches, ainsi que dans les stalles des veaux se plaisent les poules de race locale Sulmalter, qui produisent oeufs et viande! A la ferme, c’est Pâques tous les matins! Les poules bénéficiant d’une liberté totale, elles peuvent pondre n’importe où. Il faut donc là encore user de son sens de l’observation pour trouver les œufs. Tous sont fécondés puisque deux coqs sont présents: ils peuvent donc tous donner un poussin potentiellement, à condition qu’ils soient couver pendant trois semaines. Ici, la couvée est naturelle et les poussins sont élevés par leur mère. Johanna vend poules (10 à 25 euros), poussins (3 euros) et viande de poulet (16 euros/kg), principalement à ses voisins.



Les poules sont aussi régulièrement présentes dans les stalles des cochons afin de manger les mouches du fumier. Ici, on ne parle pas des trois petits cochons mais des huit petits cochons: 8 petits porcelets qui vivent à l’extérieur la journée avec leurs deux parents. Ils seront vendus à partir de 20kg (environ 4 mois). Puis, leur nouveau acquéreur les engraissera encore 100 jours avant de les abattre.



“J’aime mes animaux. Pour autant, les mesures concernant le bien-être animal ne sont à mes yeux pas prioritaires vis-à-vis des mesures concernant le climat ou la protection des sols, qui sont bien plus importantes pour les futures générations.” Johanna

L’accueil de classes à la ferme ou comment faire découvrir aux enfants la joie d’être agricultrice ! Au cours de notre séjour, une classe d’élèves âgés de 10 à 12 ans a visité la ferme lors d’une matinée.



Les élèves s’assoient sur les bottes de foin en face des stalles des vaches…et l’interaction commence! Ce n’est pas un cours traditionnel : Johanna leur demande ce qu’ils veulent savoir sur les vaches et c’est à eux de poser les questions. Les enfants se prennent vite au jeu et sont avides de connaissances.



Johanna prend soin d’intégrer tout le monde à la rencontre, y compris les Wwoofeurs qui réalisent un sketch pour présenter le principe du Wwoofing.

Ensuite, Johanna libère les cochons des stalles qui courent en direction de la prairie, suivis par les élèves rieurs à la vue de ces imposants porcidés. Ils se font une joie de les arroser au jet d’eau en cette journée particulièrement chaude.



Johanna leur apprend ensuite comment tester si le courant passe dans la clôture. Chaque élève prend un brin d’herbe et teste. Aïe, aïe, aïe… Maintenant, ils sont au courant !

La matinée se termine avec de l'escalade des bottes de foin et des petits sketchs préparés par les élèves (« Mettez en scène une attitude à éviter lorsque l’on croise des vaches en randonnées »).

Le bilan de la matinée est très positif à en croire les excellents retours des professeurs accompagnateurs.



Johanna accueille 20 classes par an, à raison d’une matinée par classe et de 25 élèves environ par session. La rémunération ? Elle est de 120 euros bruts pour 2h30 minimum sur la ferme et est versée par l’Union Européenne et l’Autriche (50% chacun).


Et d’un point de vue économique, comment la ferme s’en sort-elle?

Johanna travaille pour 1.3 personne (sur une base de 2 100h/an/personne dans la comptabilité). Le travail fourni par Michael n’est pas pris en compte et est considéré comme bénévole.



Après avoir cotisé à la sécurité sociale à hauteur de 9 000€/an, Johanna touche un revenu net d’environ 31 000€/an (2 580 euros/mois). Une partie de ce montant est réinvestie dans la ferme. Le revenu net correspond approximativement au montant des subventions, qui sont donc vitales pour la survie de la ferme. Elles sont accordées pour l’agriculture biologique, les prairies, les parcelles en zone naturelle protégée, l’alimentation du bétail sans ensilage, la protection des sols et les alpages.


La famille cherche une autonomie maximale en énergie, pour leur maison comme pour la ferme, ce qui permet des économies financières. Leurs forêts leur fournissent le bois pour le chauffage, les panneaux solaires chauffent l’eau et les panneaux photovoltaïques sur le toit produisent les ⅔ de la consommation totale annuelle de la maison et de la ferme. En fonction de leur production et de leur consommation, ils vendent de l’électricité à raison de 9.9 ct/kWh ou achètent de l’électricité à raison de 15 ct/kWh. Produisant plus qu’ils ne consomment, ils gagnent 120 euros bruts/mois. Cette électricité sert également à recharger leur voiture électrique d’une autonomie de 130km en moyenne. Il faut compter 3 à 6h de temps pour la charge complète de la batterie.



Lorsque nous demandons à Johanna le message qu'elle souhaite laisser à nos lecteurs, elle nous dit:

“Nous vivons tous de l’agriculture, la nourriture ne pousse pas dans les supermarchés. Nous devrions ainsi tous connaître ce qu’est l’agriculture - et la meilleure façon d’apprendre est de produire soi-même ses aliments: herbes et aromates en appartement, tomates sur le balcon ou poules dans le jardin... Je vous souhaite de prendre du plaisir à faire cela!"

Merci Johanna!


Cécile CAILLAUD et Marie BAUER


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