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Dans la plus grande occupation d'Italie, la terre ne se vend pas, elle se cultive


Le paysage qui s'offre à nous est à couper le souffle. Vignes et oliviers s'accrochent sur les flancs de ces collines si caractéristiques de la Toscane. Çà et là, le long des petites routes sinueuses, des bâtisses trapues laissent des touches d'ocre dans ce paysage verdoyant. Pour la plupart, ce sont d'anciens bâtiments de fermes aujourd'hui reconvertis en villas luxueuses. Nous sommes à une poignée de kilomètres de Florence, dans la campagne toscane ; une des régions les plus pittoresques d'Italie, mais aussi là où le prix du foncier atteint des sommets.



Un timide fléchage en bois nous fait quitter la route pour un chemin accidenté. Le panneau qui nous accueille à l'entrée de la ferme annonce immédiatement la couleur :

"Mondeggi Bene Comune. Fattoria senza padroni" ("Mondeggi bien commun. Ferme sans patron")

Une autre inscription rajoute, humoristique : "Non si morde" (On ne mord pas).

Nous voici à Mondeggi, le plus grand squat agricole d'Italie, où les terres ont été "collectivisées" par la population.



À notre arrivée, le spectacle est quelque peu déroutant : une vingtaine de jeunes s'affairent un peu partout autour de la bâtisse principale de Mondeggi. Un groupe s'occupe du potager, d'autres partent, la scie sur l'épaule, vers les oliviers, tandis qu'un air de guitare s'échappe de la petite place centrale.

Ils ont pour la plupart entre vingt et trente ans, ont suivi une formation universitaire (agronomie, sciences politiques, anthropologie), mais ont décidé de vivre en communauté et de cultiver la terre.


Mondeggi Bene Comune, l'histoire d'une occupation

Alessio, ingénieur agronome présent depuis le début de l'occupation, nous fait faire le tour de Mondeggi. "Vous voyez la colline là-bas ? Elle marque la limite des terres qu’on occupe. En tout, cela représente plus de 200 hectares".

Pendant 50 ans, le domaine de Mondeggi a appartenu à la ville de Florence. Mais en raison d’une gestion calamiteuse, l’entreprise agricole chargée de son exploitation a fait faillite, laissant une dette de 2 millions d’euros. Pour rembourser les banques, la ville de Florence a décidé de mettre en vente le domaine, pour une valeur estimée à 20 millions d’euros. Les seuls acheteurs potentiels étaient alors de grosses entreprises viticoles conventionnelles.


Pour empêcher que ce bien public soit vendu au privé, un collectif de paysans et d'étudiants de la région de Florence s'est formé, pour tenter de proposer un projet alternatif légal à ce rachat. Devant la volonté des autorités d'expédier la vente, la décision d'occuper illégalement les lieux a été prise dans les derniers jours de juin 2014.



Très rapidement, les occupants ont compris que pour être acceptés par la population, le projet d'occupation devait inclure tout le monde. Leur choix a donc été de "collectiviser" deux productions phares : les oliviers et la vigne.


Une partie des 8,000 oliviers a été découpée en 140 parcelles de 35 oliviers, distribuées à des habitants de la région. Moyennant une contribution de 30 euros par an, et la participation à des séances collectives d'entretien, ils récupèrent à la fin de l'année une partie de la production d'huile d'olive. Un système semblable a été mis en place pour les vignes.

C'est en partie grâce à cette collectivisation que le projet d'occupation de Mondeggi a pu perdurer : il est plébiscité par les locaux, rendant une expulsion plus difficile. En outre, c'est un formidable moyen de mettre la population au plus près de l'expérience agricole, et de recréer le contact entre habitants et paysans. Pour les habitants de la région qui participent au projet, les occupants de Mondeggi ne sont pas des "punks sur la colline", mais des jeunes engagés dans une agriculture durable.


L'expérience d'une communauté autogérée


Depuis 2014, ce sont donc une vingtaine de jeunes qui se relaient dans l'occupation de Mondeggi. Chacun a un travail à l'extérieur pour payer tout ce qui ne concerne pas le logement et l'alimentation, mais aussi pour payer les 50 euros mensuels de cotisation à la vie en communauté.

Ici, on partage les deux bâtiments habitables de la ferme, ainsi que les tâches agricoles et ménagères. Chaque occupant choisit de faire partie d'un groupe de production (vin, olives, céréales...) et s'y consacre en priorité. Bien sûr, lorsqu'un travail particulier, comme la taille des vignes, demande beaucoup de main d’œuvre, tout le monde s'y met ! 

Tous les lundis, les vingt occupants se réunissent pour planifier les travaux importants de la semaine.


La réunion du lundi est également l'occasion de planifier le plus important : qui fera à manger cette semaine ?


Une ferme sans patron, cela implique de maîtriser les codes de l'autogestion ! Personne ne vous ordonnera de faire un travail particulier, on vous expliquera uniquement où il y a besoin d'aide. Ce mode de fonctionnement, s'il possède ses qualités, peut également créer de l'incompréhension... Il peut arriver qu'un groupe travaille beaucoup au cours d'une journée tandis qu'un autre sera beaucoup moins affairé.


Mais Mondeggi, c'est beaucoup plus que les seuls occupants de la ferme. C'est également tout un réseau d'entraide : entre les habitants qui s'occupent des parcelles redistribuées, les gens qui viennent donner un coup de main, et les anciens de Mondeggi, près de 350 personnes participent de près ou de loin à l'aventure.

"Il mosto di Firenze" c'est la fête du vin qui a lieu tous les ans à Mondeggi. Des petits producteurs bio sont invités pour faire déguster leurs produits.


Pour la plupart, ils font partie du réseau "Genuino Clandestino", qui regroupe des petits paysans qui veulent se rassembler contre l'agro-industrie. Le réseau est même venu en aide à un producteur qui n'était pas en règle. Pour eux, la certification Bio fait la part belle aux industriels.

"La meilleure certification, c'est quand les gens viennent voir directement ce qu'on fait ici " nous dit Alessio

Quand il faut aider à préparer un repas pour 2,000 personnes, c'est toute la communauté d'entraide qui participe !


Cette année, l'édition a été un franc succès ! Plus de 2,000 personnes sont venues au "Mosto di Firenze". Les fonds dégagés permettront d'acheter un nouveau tracteur pour Mondeggi.


Genuino Clandestino anime également deux marchés paysans toutes les semaines à Florence. C'est là que les occupants vendent la majorité de leurs produits.


Tous les mercredis, "Wombat Radio" s'installe à Mondeggi pour une après-midi d'émission ! Cette semaine, on parlait du mouvement des "sans terre" au Brésil.


Cultiver un bien commun


Mais au fait, que produit-on à Mondeggi ? Comme dans tout projet agroécologique qui se respecte, les productions sont très diversifiées. Le système agricole est de type polyculture-élevage, mécanisé, et organisé autour de la production de vin et d'huile d'olive.


Francesco taille la vigne, de cépage San Giovese. Cette technique de taille consiste à choisir une branche principale tous les ans, que l'on va courber à l'horizontale, et qui portera la production de raisin.


Sur les 20 hectares de vigne présents à Mondeggi, seule la moitié est cultivée. Le reste des pieds, trop anciens et malades, est laissé en friche. Cinq hectares sont entretenus directement par les habitants permanents de Mondeggi, les cinq autres ont été redistribués à 80 personnes.


La vigne est traitée 4 à 8 fois par an au cuivre et au soufre. Pour ces opérations de traitement, le tracteur de la ferme, hors-d'âge, ne suffit plus. Sans cabine, il ne protège pas bien le conducteur.


Avec le raisin, on fait aussi la "grappa", une eau de vie typique de la Toscane, si fort que l'on doit la couper avec de l'eau !

La bière, c'est la spécialité de Gil, pour notre grand plaisir ! Produites avec l'orge cultivé sur la ferme, ces excellentes bières brunes et blondes seront vendues sur les marchés ou aux événements festifs.


Une fois fermentée dans une cuve de 200 L, la bière est mise en bouteille. On ajoute 4g de sucre /L pour la refermentation : ce procédé donnera davantage de bulles à l'ouverture.


Pour la mise en bouteille, on utilise une machine fonctionnant grâce aux vases communicants : le remplissage de la bouteille s'arrête quand le niveau est le même que celui du bassin (lui-même régulé par le flotteur noir en bas à gauche sur la photo).


Avoir plus de 8,000 oliviers sur 60 hectares, ça demande de l'entretien ! A tel point que seule la moitié est réellement cultivée. Les oliviers étaient taillés "en cyprès" pour faciliter la récolte mécanique, c'est-à-dire tout en hauteur. Gil les retaille "en main" pour obtenir des olives de meilleure qualité, et faciliter la récolte manuelle.


La production est estimée à 4,000 litres par an. Près de 2,000 litres sont auto-consommés sur la ferme!


Le pain est produit avec la farine des 7 hectares de blé de Mondeggi, et cuit au four à bois. Quand la production de blé ne suffit pas, une partie de la farine est achetée à des agriculteurs bio de la région.


Le bois est entièrement brûlé dans le four, les cendres sont retirées, et le pain cuit grâce à la chaleur résiduelle. Le four est à bonne température quand on ne peut laisser sa main dedans plus de 10 secondes (après, tout est subjectif !).


Le pain, c'est la production star sur les marchés. Mondeggi en produit 40 kg deux fois par semaine.

"Le pain, même si on en produisait deux fois plus, on le vendrait!" nous explique Isabella.

Dans l'herboristerie, on fait sécher fleurs et plantes médicinales. Elles seront transformées en tisanes, huiles essentielles, savon...


Les mauves sont étalées sur des tissus dans la salle de séchage.


Le jardin nourrit uniquement la communauté en raison du manque d'eau (la ferme se situe sur une colline). Fèves, artichauts, salades, tomates sont produites sur place, irriguées au goutte à goutte avec l'eau de pluie récupérée. Si au début, le maraîchage s'inspirait beaucoup de la permaculture (culture en butte, association), il a été décidé de revenir à un mode de culture plus traditionnel, pour faciliter le travail.


Mondeggi fait également pousser du safran, et 38 ruches permettent la production de miel.


Il y a quatre ans, il a été décidé de créer un verger. Comme les arbres coûtent cher, Mondeggi a fait appel au financement participatif : plus de 1,000 personnes ont acheté par anticipation les premières corbeilles de fruits, alors que la première récolte n'aura lieu que dans quelques années. 5,000 euros ont été ainsi récupérés, permettant d'inscrire le projet dans le long terme.

"Quand on me demande si on est là pour longtemps, je montre les arbres fruitiers que nous avons planté. [...] Nous sommes là pour encore quelques années" nous confie Alessio, un sourire en coin.

Ce sont plus de 700 arbres qui ont été plantés dont 5 variétés différentes d'abricots. Chaque variété donne des fruits à une période donnée. Ainsi la récolte est étalée dans le temps pour que l'on puisse d'une part manger des fruits tout l'été, et d'autre part, que le verger soit plus résilient face aux maladies.


L'élevage de 22 cochons produit de la viande pour la communauté et permet aussi de fertiliser les parcelles. Les cochons sont élevés en extérieur, en semi-liberté, et abattus à la ferme par ceux qui les ont élevé.


Deux à trois cochons sont abattus tous les ans. C'est l'occasion pour les occupants d'apprendre à préparer la viande auprès des anciens.


Le poulailler, avec poules, oies et canards, permet également un approvisionnement en œufs pour l'autoconsommation.


Mondeggi, modèle ou situation de transition ?


Mondeggi Bene Comune est à bien des égards une expérience hors-normes. C'est une occupation de longue durée, la plus grande d'Italie en surface, portant un projet agricole et collectif, tout en incluant les habitants de la région. Il faut cependant payer une cotisation pour y participer afin de couvrir les frais des traitements, d'essence pour le tracteur ou tout type de matériel.


La notion la plus importante est celle du bien commun : laisser à la population l'accès à un bien public, en empêchant qu'il ne devienne une exploitation conventionnelle, ou un hôtel de luxe. Là encore, et c'est le plus important, Mondeggi Bene Comune a réussi son pari depuis 5 ans.



La communauté de Mondeggi propose une manière de se battre contre la privatisation des biens et les multinationales en agriculture intensive qui sont les seules à pouvoir s'offrir un bien comme celui-ci. Ils ne prétendent pas vouloir généraliser leur expérience mais seulement multiplier des actes militants de non violence contre le capitalisme libéral qui selon eux accentue les inégalités et va à l'encontre de la transition agroécologique.


L'autosuffisance n'est pas atteinte : les habitants ont un autre métier à côté, le jardin ne permet pas d'alimenter suffisamment la communauté en légumes, et riz ainsi que pâtes sont achetés ailleurs.

Et si les occupants ne paient pas de taxes sur les produits qu'ils vendent, ils profitent néanmoins des services publics fournis par l'Etat italien (santé, aides sociales...). Certains à Florence leur reprochent de tirer avantage de cette situation hybride. 

C'est à nos yeux un mauvais procès qui leur est fait. Bien entendu, tout n'est pas parfait dans le fonctionnement de Mondeggi mais il ne peut pas leur être reproché de profiter de la situation. Par conviction, les occupants se sont détournés des sirènes d'une carrière prometteuse et plusieurs sont aujourd'hui en procès pour occupation illégale.


Ils questionnent la légitimité face à la légalité.


Voici la vidéo :



La lutte du Larzac est une bataille similaire à l’ampleur internationale qui a réussi à éviter l'expropriation de 103 paysans. Si vous voulez en apprendre davantage, nous vous proposons de regarder ce documentaire :



 

Betty, Eugène et Floris


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