top of page

La Lenticchia, être diversifié pour être autosuffisant

Dernière mise à jour : 9 juin 2019

En Romagne, Italie, région réputée pour produire des fruits en agriculture conventionnelle qui seront vendus dans toute l'Europe, nous nous sommes arrêtés à La Lenticchia, ferme bio spécialisée dans les légumes, les céréales et les légumineuses. Filippo et Claudia, les deux associés, et Gabriele, le jeune et nouveau cuisinier, nous accueillent chaleureusement avec un repas buffet entièrement vegan dont chaque produit provient de la ferme qui nous entoure. C'est le quotidien et l'engagement de La Lenticchia, l'autosuffisance alimentaire et des produits sains et locaux.




La Lenticchia a presque 3 ans. Elle résulte d'un projet mûrement réfléchi durant des années par Filippo. Ancien étudiant d'anthropologie à Bologna, il a compris sa passion pour l'agriculture et l'importance de l'auto-production avec son grand-père, lorsqu'il avait 20 ans, et qu'ils ont commencé à travailler ensemble un potager dans le jardin familial. Filippo a alors fait du Wwoofing, pris des cours de cuisine vegan, et a travaillé sur plusieurs exploitations et dans plusieurs cuisines. Il a notamment fait 8 ans dans une exploitation de noisetiers, qui fut certifiée biologique au début, mais qui est passé au chimique pour combattre des bactéries qui nuisaient à la production. Nouvellement devenu père, il démissionna pour protéger sa fille des produits chimiques qu'il manipulait toute la journée.



Il commença à avoir un potager pour sa propre consommation et fut de plus en plus diversifié. Son projet d'ouvrir sa propre ferme se profilait et se précisait de plus en plus. Il savait que produire seulement des légumes n'était pas viable économiquement, il a donc imaginé une ferme plus complète, avec des produits qu'il aime, qu'il mange souvent, et que personne ne produit autour : des céréales et des légumineuses.


Haricots produits par La Lenticchia

Il repère une maison et ses terres aux alentours de Forlì, des terres abandonnées depuis plusieurs années. En 2010, il demande au propriétaire de faire un essai de pois chiches sur 2000 m². Il réussit à vendre sa production grâce au réseau de g.a.s. (Gruppo d'Acquisto Solidale, Groupe d'Achat Solidaire), réseau très important à ce moment-là. Il commence ensuite à essayer la production d'anciennes variétés de blé (épeautre, blé dur).

Il continue 5 ans comme cela, et produit à la fin environ 100 quintaux de grains. Une clientèle se construit petit à petit, des g.a.s. sont intéressés par ses produits, et le projet d'ouvrir une ferme commence à devenir réalisable. De plus, la maison associée aux terrains qu'il cultive possède des chambres à louer.

Il propose alors à Claudia, amie rencontrée avec le réseau g.a.s., de monter le projet La Lenticchia. C'est de cette manière qu'en août 2016, naît la ferme. Claudia et Filippo n'ont attendu qu'un an pour obtenir la certification biologique car les champs étaient abandonnés et ne sont donc pas contaminés par des produits chimiques.


NB : Le g.a.s., équivalent italien de l'a.m.a.p., est un groupe de personnes qui décident d’acheter ensemble des produits alimentaires et non alimentaires, directement auprès des producteurs.



En octobre 2018, dans le but de valoriser les produits de la ferme et grâce aux expériences de Filippo dans des cuisines vegan, Claudia et Filippo ouvrent un restaurant 100% vegan et quasiment indépendant du supermarché.

Ils recrutent Gabriele en mars 2019, qui va devenir le chef cuisiner de ce restaurant, mais aussi un grand ami.




Tout le monde participe lorsqu'il y a beaucoup de couverts : les uns aux fourneaux et les autres au service

Aujourd'hui, La Lenticchia c'est quoi ?




La Lenticchia c'est 0.9 ha de potager et 9.4 ha de champs pour la culture de céréales (3 variétés) et légumineuses. Les rotations sont nécessaires, notamment pour la certification.

En effet, ne sont autorisées qu'1 année de légumineuses tous les 4 ans, et 1 année ou 2 consécutives de céréales tous les 5 ans.

Filippo a alors décidé de faire une rotation sur 4 ans, avec 2 ans de céréales, 1 an de légumineuses puis 1 an d'une culture autre. Cultiver deux années consécutives des céréales appauvrit le sol mais, n'ayant que 8 parcelles et devant produire les 3 variétés de céréales chaque année, il en est contraint (ce sont des produits phares de La Lenticchia et les plus rentables). Il n'a d'ailleurs même pas assez de parcelles pour faire ces rotations (il lui en faudrait 9). Cependant, les champs disponibles aux alentours sont chers et en agriculture conventionnelle. La production des premières années ne sera donc plus certifiée bio s'il commence à cultiver dessus, ce qui est impossible pour la ferme.

Il en est encore à sa première rotation et essaie la production de tournesol pour la quatrième année. L'objectif est notamment de produire sa propre huile pour sa cuisine, mais aussi pour d'autres restaurants et pour les g.a.s. Filippo veut aussi essayer le quinoa, le mil et/ou le chanvre.


Désherbage manuel de la moutarde sauvage (fleurs jaunes) dans le champ de pois chiches. Elles seront cuisinées pour le restaurant !

La Lenticchia vend de l'épeautre en grain, des lentilles, des pois chiches, des haricots et de la farine de pois chiches, de blé dur et de blé tendre. La ferme fait sa propre reproduction de semences (sauf pour les lentilles, trop dur à faire reproduire). La ferme vend aussi tout type de fruits et légumes : courgette, courge, aubergine, concombre, melon, pastèque, pomme de terre, tomate, carotte, fenouil, plusieurs salades, blette, betterave, coriandre, basilic, oignon, céleri ...

Ils sont vendus tous les mercredi à la ferme sous forme de paniers et à certains g.a.s. Les autres g.a.s. achètent les céréales et légumineuses de la ferme.


Organisation de la vente et préparation des paniers

Filippo s'organise avec les g.a.s pour livrer les produits et se déplace aussi lui-même.

Distribution de pois chiches dans un éco-lieu où se retrouvent les adhérents du g.a.s. de Cesena

Finalement, le grand objectif de La Lenticchia est de faire pousser ses produits, les cuisiner pour leur propre consommation et pour le restaurant, puis vendre le surplus. L'autosuffisance est presque atteinte et veut toujours être améliorée. Les produits locaux sont les seuls sur la table, jamais de fruits exotiques ou autres produits d'importation.


Les pratiques agricoles du quotidien


Filippo cherche à tout prix à éviter l'utilisation de produits dans ses champs et préfère les travaux mécaniques et manuels. Cependant, il rencontre des problèmes pour trouver des services agricoles. En effet, son monopole en céréales et légumineuses bio dans la région a des limites, et notamment le passage d'une herse étrille pour le désherbage mécanique des champs ne se trouve pas dans la région.

"Si la moutarde sauvage n'existait pas, je travaillerais 2 fois moins..."

Il n'utilise aucun produit contre les champignons, sauf dans le champ de pois chiche, où il a mis un champignon antagoniste de celui qui provoque le charbon.

Dans le potager, Filippo utilise parfois du Spinosad (insecticide autorisé en bio) pour protéger ses pommes de terre du Doryphore.


Doryphore adulte sur plant de pomme de terre

Cette année, nous avons d'abord essayé de contrôler la population en tuant tous les insectes que l'on voyait lors de multiples vérifications des plants. Mais l'application de Spinosad s'est révélée être absolument nécessaire.


Doryphores tout juste sortis de l'oeuf : un adulte peut pondre plus de 2 millions d’œufs par an

En général, aucune fertilisation dans les champs n'est réalisée, car les terres sont fertiles (en lisière d'une rivière) et ont accumulé une grande fertilité lorsqu'elles étaient abandonnées. De plus, les variétés anciennes de blé sont plus hautes que les variétés modernes, et sont donc beaucoup plus sensibles à la verse. Ajouter des fertilisants augmenterait ce risque. La verse a déjà fait des dégâts cette année à cause des pluies importantes du mois de mai.


Verse dans le champ de blé

La pluie a aussi fait des dégâts dans le champ de tournesol.


Filippo et un conseiller, contrôlant le champ de tournesol détruit par un insecte et la pluie abondante

L'écoulement de l'eau de pluie a créé une forte érosion dans le champ

Résumé des travaux dans les champs, à l'échelle d'une année :


- Labour : pas obligatoire pour le blé car les graminées étouffent bien les adventices

- Extirpateur : coupe horizontalement les racines des adventices

- Herse rotative : brise les mottes de façon à ce qu'elles deviennent plus fines pour préparer le lit de semence

- Semis : réalisé par un ami de Filippo pour 60 €/ha

- Sarcleuse : ameublit le sol et détruit les adventices dans une culture en ligne, 60 €/ha

- Récolte : 2,000 € pour les 9.4 ha


Dans le potager, il faut tout faire à la main, ou avec le motoculteur électrique bricolé par Filippo. On combat la croûte de battance formée par la pluie des 3 derniers jours (il a plu l'équivalent de 4 mois!) en la cassant pour permettre à l'eau de mieux s'évaporer. Les plants sont asphyxiés par ce trop plein d'eau, dont on voit bien le symptôme : le jaunissement des feuilles.


Croûte de battance cassée et feuilles jaunes

Motoculteur électrique bricolé par Filippo

La production


En 2018, La Lenticchia a produit 3,000 kg de pois chiches, 1,100 kg de lentilles, 3,000 kg d'épeautre, 6,000 kg de blé dur, 2,500 kg de blé tendre, 300 kg d'haricots.

Pour une variété ancienne de blé bio, le prix est de 60-70 €/q avec une production moyenne de 15-18 quintaux/ha, alors que la variété moderne vaut 20 €/ha mais produit 90 quintaux/ha. Cela revient à un revenu 1.5 plus élevé en conventionnel, mais Filippo se bat au quotidien pour réduire son impact sur la planète et conserver des variétés anciennes aux vertus nutritives.


Pour conserver leurs céréales et légumineuses, Filippo et Claudia ont décidé d'essayer la technique de l'atmosphère modifiée dans les sacs contenant les grains. Ils ont utilisé de la neige carbonique, qui après sublimation, créée une atmosphère riche en CO2, impropre à la vie des insectes.


Fermeture du sac contenant les semences et un carton de neige carbonique

Quelques chiffres sur la comptabilité de la ferme


Filippo et Claudia bénéficient de 5,800€ d'aides PAC chaque année. La première année, ils ont aussi reçu une aide exceptionnelle de 30,000 €, réservée aux nouveaux agriculteurs de moins de 40 ans, qui leur a permis de rembourser l'achat du tracteur 75 chevaux nécessaire pour le travail du sol.

En 2017 (deuxième année de production), l'activité agricole a un déficit de 5,000 € (contre 21,000 € en 2016). La charge la plus importante est le loyer, Filippo et Claudia ne sont en effet pas propriétaires et paient 12,000 €/an. Avec la partie agrotourisme, la balance finale revient à 12,000 €, soit 500 €/mois/personne. Filippo travaille environ 300 heures/mois, il est donc payé 1.6 €/h.

Claudia comprend que la ferme n'est pas rentable car les bénéfices doivent subvenir aux besoins de deux familles, la sienne et celle de Filippo.

"Si nous n'étions qu'une seule famille à vivre ici, et que la maison et les champs étaient à nous, peut-être qu'on serait économiquement à l'équilibre" Claudia

La certification biologique est très lourde financièrement et administrativement parlant pour La Lenticchia. Ils critiquent aussi le fait que le contrôle ne se fait pas dans les champs mais est uniquement administratif (contrôle des achats de fertilisants, de phytosanitaires etc).


Pour survivre, Filippo réalise, en dehors de La Lenticchia, des projets d'éducation pour des personnes dans le besoin sous forme de cours de cuisine et d'agronomie. Cela lui donne des extras de 100 € chaque mercredi où il peut faire cours.



Quels objectifs pour La Lenticchia ?


La ferme est récente, et Claudia et Filippo ont beaucoup d'idées d'amélioration pour le futur. Ils comptent par exemple devenir indépendants des pépinières pour diminuer les charges, et cela en semant en plein champ plutôt que de planter des plantules.

Ils veulent surtout augmenter la production et commencer à engager des ouvriers agricoles. Ce n'est pas pour gagner plus d'argent, mais pour proposer du travail et produire plus d'aliments qui seront consommés localement. Ils cherchent aussi à améliorer la complémentarité des trois activités, à savoir la production agricole, le Bed&Breakfast et le restaurant, pour optimiser la valorisation des produits.


Filippo nous présente un ami boulanger qui utilise ses farines

Claudia et Filippo sont toujours en train de penser à leur empreinte carbone, leur consommation d'eau, d'électricité, d'essence. Ils ont choisi de mettre le minimum de produits dans leurs champs en prenant le risque de perdre à chaque fois une partie de leur production. Ils surpassent les normes de la certification biologique pour leurs convictions personnelles. C'est un réel combat qu'ils portent et qu'ils partagent avec leurs clients. Avec leur ferme, ils sont des militants écologistes qui sont passés à l'action et recherchent aujourd'hui à faire sans la société du consumérisme.


Bref, on a passé deux superbes semaines

Voici la vidéo :


 

Eugène, Betty et Floris

202 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page