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Photo du rédacteurParoles de Paysans

La permaculture ou l'apprentissage par Mère Nature

Dernière mise à jour : 16 sept. 2020

Retour trois ans en arrière, en 2016, à Emersacker, village situé au nord-ouest d’Augsburg en Bavière… Huit personnes choisirent de mettre leurs moyens en commun et de s’installer ensemble au sein de l’ancienne ferme Malherhof, qu’ils rachetèrent. Une coopération se mit en place avec la ferme biologique « Hesch und Permakultur » de Martin et Veronica, située à 300 mètres de là : les habitants de Malherhof aidaient au maraîchage, logeaient les Wwoofeurs travaillant sur le site, réalisaient des formations autour de la permaculture…


Malherhof


La ferme « Hesch und Permakultur » de Martin et Veronica


L’association entre la communauté et la ferme avait pour but de forger une transformation écologique, sociale et culturelle. Au sein du flyer du projet, on peut lire : « nous nous sommes fixés le développement et la réalisation d'un mode de vie durable et nous rendons possible l'expérience d'une relation responsable, attentive et respectueuse avec nous-mêmes, nos compagnons et notre lieu de vie la Terre. Un cycle de connaissances, de possibilités, de créativité et de courage se met en place, vers un nouveau chemin. ».


Trois ans plus tard, le projet a cependant une autre allure. Les membres de la communauté se sont disloqués : seules trois personnes vivent encore à Malherhof… et ce, plus pour très longtemps puisque ces personnes envisagent de quitter le lieu sous peu. La communication au sein de la communauté, et entre cette dernière et la ferme, n’est pas toujours aisée, les Wwoofeurs en sont les premiers témoins. Pourquoi est-ce que cela n’a pas marché ? A cause de caractères trop différents ? A cause d'un manque de communication, notamment lorsque deux des membres sont partis 6 mois en voyage, en étant difficilement joignables ? A cause d'un manque d'individualité, tout le monde partageant salle de bain, cuisine, salon... tous les jours ? A cause d'une recherche différente de spiritualité ? Ou parce que tout l'argent était mis en commun, sans que chacun soit responsable de ce qu'il gagnait ? Il n'y a pas qu'une réponse à donner… Cependant, ce projet qui se termine permet aux membres de réfléchir et d'apprendre. L'un d'eux nous confie notamment qu'il prendra plus de temps pour réfléchir et se poser les bonnes questions les prochaines fois. « Faire l'effort de communiquer, encore et toujours, même si cela nous coûte, est essentiel, pour éviter les incompréhensions et pour ne pas faire une montagne d'une petite chose » nous transmet-il.


Avec ou sans la communauté, la ferme « Hesch und Permakultur » des sexagénaires Martin et Veronica continue son chemin débuté il y a 10 ans.

Martin et Veronica


Le couple s’est lancé en 2009 dans la mise en place d’un jardin en permaculture « Le Ried » avec 1.8 hectares de maraîchage et 1.5 hectares de céréales, à 700 mètres de leur maison et de leur jardin particulier. Veronica était infirmière ambulancière et est retraitée depuis 2 ans. Martin est fils d’agriculteur et a travaillé en tant que charpentier avant de revenir au travail de la terre qui lui manquait. Autodidacte, il a dévoré les livres, notamment ceux de Sepp Holzer, un pionner de la permaculture.

Le Ried, îlot parsemé d'arbres au bout de la prairie


Le Ried, vue d'avion


La permaculture… Un mot que l’on entend de plus en plus fréquemment. Mais qu’est-ce au juste ? C’est une méthode de conception inspirée des fonctionnements de la nature.

« Étudier la nature, comprendre la nature, copier la nature. »

Martin nous répète souvent cette phrase, reprenant les mots de Victor Schauberger, forestier autrichien. L’objectif est de créer des lieux de vie agréables, résilients, qui produisent de la nourriture, de l’énergie, des matériaux utiles tout en améliorant les sols, l’eau, la qualité de l’air et les relations entre les humains. Trois éthiques principales ressortent des travaux des fondateurs australiens, David Holmgren et Bill Mollison : être attentif à l’humain, être attentif à la terre et redistribuer les surplus.


La permaculture va au-delà de l’agriculture : elle concerne aussi bien le jardin que la gestion de l’énergie, de l’eau, des déchets, la maison…

Certes, il est facile pour un individu ou une entreprise d’appliquer des techniques ou des stratégies qui sont culturellement associées à la permaculture et de se décorer ensuite avec le mot permaculture. Cependant, le vrai cœur de la permaculture réside dans ses principes éthiques et de conception. Appliquer ces principes au niveau de sa pensée, dans son quotidien, dans la conception de sa vie personnelle ou de celle d’une entreprise est donc un autre niveau de pratique de la permaculture, bien plus puissant que la mise en place, la promotion, voire la vente de techniques ou stratégies dites ‘permacoles’. Pour Martin et Veronica, la permaculture est un style de vie. Le contact avec la nature est essentiel.

« Nous faisons partie de la nature. Si nous la détruisons, c’est nous-mêmes que nous mettons en danger » Martin

La permaculture va donc au-delà du jardin. Dans cette optique, Martin a construit sa maison de ses propres mains en 3-4 ans avec de la paille, de l’argile et du bois. La maison a fière allure. A l’intérieur, de nombreux meubles fait-main et un beau parquet…fait à base de palettes de récupération!


L’argile utilisée pour la construction a de nombreuses propriétés. Elle est accessible, recyclable, non toxique, relativement facile à travailler sans que cela soit énergétiquement coûteux, permet la régulation de l’humidité de l’air et la conservation du bois… La température de la maison est agréable : elle est régulée par l’argile dont la capacité d'accumulation thermique est élevée.

(Photo d'une maison en construction selon les conseils de Martin)

« L’eau, c’est la vie : il faut tout faire pour la garder ! » Le couple a mis en place un tank récupérateur des eaux de pluie pouvant contenir environ 7000L. Cette eau sert pour l’arrosage de la serre, les toilettes, la machine à laver… Par ailleurs, dans leurs jardins, on retrouve des mares, avec une biodiversité particulière, mises en place par Martin.


Mare de leur jardin particulier


Étang du Ried


Vous l’aurez compris : Martin est un travailleur acharné ! Pour mettre en place son jardin maraîcher permacole, il a fait d’importants travaux : non seulement le creusement des mares mais aussi la construction de buttes, de lits pour les cultures… Tout un design suite à une profonde réflexion! Les buttes ne sont pas disposées en ligne mais forment des méandres. « Les lignes ne sont pas dans la nature ! » nous dit Martin.

« Il faut créer les choses avec son âme et non pas choisir le chemin de la rapidité. »



Une butte permet de « concentrer » et de cultiver le potentiel fertile du lieu cultivé et l’objectif est à terme de reproduire la succession empilée des horizons du sol forestier. Au sein des buttes se trouve du bois, de branchages, du compost, de la terre… Les avantages d’une telle butte ? Elle permet non seulement d’augmenter la surface de culture due à sa forme arrondie, mais également de créer des microclimats variés avec notamment des différences d’humidité entre le sommet et le creux de la butte. Elle est donc particulièrement adaptée aux sols trop humides comme celui du jardin du Ried, anciennement marécageux. Pour que la fertilité de sa butte soit pérenne, sont ajoutés régulièrement du fumier et du mulch, que Martin reçoit gratuitement de voisins. Il nous rappelle : « Dans une poignée de sol, il y a 8 fois plus d’êtres vivants que tous les humains de la terre. Couvrir le sol est essentiel pour nourrir les microorganismes et donc pour faire vivre le sol ! »


Le début du Ried a certes été délicat avec un piètre rendement les 3 premières années mais aujourd’hui, le gros travail en amont et l’obstination de Martin paient. Sa production a augmenté car la fertilité de son sol s'est améliorée avec le temps. Le travail est toujours conséquent et Martin est heureux de pouvoir compter sur wwoofeurs et stagiaires pour l’aider.





Les fruits, les légumes et les herbes sauvages fleurissent dans le jardin. Eh oui, pas de mauvaises herbes pour Martin ! Toute plante a son utilité ! Quand du désherbage est fait (avant que les plantes ne montent en graines!), les plantes sont laissées sur place et servent de mulch.

Avant et après une séance de désherbage...


Martin arrose rarement les plantes et réfléchit à l’association des cultures afin d’optimiser au maximum les potentialités de chacune. Il associe par exemple oignons et carottes, les uns protégeant les autres de ses insectes nuisibles. Il a également un « lit des trois sœurs », plus connu sous le nom de « milpa », un système plurimillénaire : maïs, courges et haricots grandissent ensemble. Les haricots se servent du maïs comme tuteur et, comme légumineuse, apportent de l’azote au maïs et aux courges. Ces dernières couvrent le sol de leurs feuilles et limitent ainsi les pertes hydriques.



Bzzzz… Bien que le jardin soit dans un lieu éloigné des routes et entouré de prairies, le bruit permanent des abeilles l’habite. Ce sont les ruches d’Andreas, un de ceux de la communauté de Malherhof habitant toujours sur place. Robert, un de ses amis apiculteurs travaillant régulièrement au jardin, se fait une joie de nous expliquer le fonctionnement de cette communauté exceptionnelle.



C’est qu’il y a du travail derrière une goutte de miel ! Les ouvrières vont de fleur en fleur collecter le nectar. Une fois rentrées dans la ruche, elles déposent le nectar qui comprend 75% d’humidité dans des alvéoles de cire. Les abeilles créent alors un courant d’air dans la ruche en battant des ailes afin de sécher la précieuse substance. Ainsi sera obtenu le miel…qui comprend 20% d’humidité seulement et qui peut donc être conservé très longtemps. La communication au sein de la ruche est primordiale : lorsqu’une abeille a trouvé une source intéressante de nectar, elle réalise une danse devant ses congénères, indiquant la distance et l’angle par rapport à la ruche du nectar trouvé ! Les autres peuvent ainsi s’y rendre aisément. Incroyable, non ? Robert se plaît à nous raconter également le « jour de nettoyage » des abeilles, à la sortie de l’hiver : les abeilles s’étant retenues de faire leurs besoins dans la ruche pendant la rude saison, nombreuses sont celles qui sortent pour se soulager lors des premiers beaux jours. Attention aux draps blancs séchant à l’extérieur à la sortie de l’hiver : il risque d’avoir des tâches jaunes ! Robert nous met également en garde contre le danger principal des abeilles. Pour lui, ce n’est pas le varroa, ni le frelon asiatique…mais le miel de supermarché à bas prix! Ce miel est obtenu à partir d’un mélange de plusieurs miels provenant notamment d’Asie, où les ruches sont infestées par des parasites, dangereux seulement pour les abeilles. Les pots de miel infestés finissent dans les containers où les abeilles sont attirées par les éventuels reliquats de miels : en les consommant, elles peuvent ramener le parasite à la ruche. Si un tel cas arrive, l’apiculteur doit avertir pompiers et gendarmes qui détruisent la totalité de la ruche par le feu.


Une piqûre d’abeille ? Robert sort son briquet, l’allume, l’éteint puis appose sur la piqûre le métal chaud : une température dépassant 42 degrés évacue le poison.


Martin et Veronica reçoivent des subventions pour le bio et les pommes de terres primeurs produites à hauteur de 500€ pour une certification bio coûtant 350€. Étant en zone protégée, ils pourraient aussi en demander pour la biodiversité et les fauches tardives mais ne le font pas en raison des contraintes et de la bureaucratie demandée. Les liens avec l’administration ne sont pas toujours faciles, particulièrement au début. Mais Martin a toujours essayé d’être pacifiste, conscient que derrière la mission, il y a toujours un homme. La prise en compte de l’être humain : un point important de la philosophie de vie en permaculture !


Lundi matin, le couple et les Wwoofeurs s’activent pour récolter des légumes et préparer des caisses à destination de la ville d’Augsburg. Le couple vend en effet sa production grâce à deux voies principales : via leur magasin sur place ouvert 4 jours par semaine de 8h à 18h et via la « Solidarität Landwirtschaft » ou « agriculture solidaire ». Dans cette seconde voie, une association se charge de collecter chaque semaine des caisses de légumes auprès de 3 agriculteurs (dont Martin), prépare des paniers et les distribue auprès des consommateurs. Le couple reçoit 10.50€/panier, prix qui devrait être revu à la hausse pour Martin au vu du prix de production. Cependant, les autres agriculteurs ne défendent pas leurs droits auprès de l’association comme le fait Martin. Certes, il pourrait envisager d’organiser ses propres paniers de consommateurs mais il n’est pas prêt à passer du temps devant l’ordinateur, à organiser les tournées, faire de la publicité, faire la comptabilité…



La préparation des paniers

Le magasin de la ferme


Midi sonne à l’église du village… Les caisses sont prêtes et seront livrées dans l’après-midi. Les Wwoofeurs, Martin et Veronica se rejoignent pour déjeuner au sein d’une salle de travail indépendante de la maison, construite également par Martin. Chacun prend la main de son voisin et une bénédiction a lieu. Le couple remercie la Terre mère pour les légumes qu’elle produit, pour le soleil, pour la pluie, pour les microorganismes… Puis, c’est smoothie avec notamment des graines de chanvre, des calendules, de l’égopode, des feuilles de framboisiers, de cassis, de groseilles… ! Le repas qui suit est végétarien. Martin a arrêté la consommation de viande il y a plusieurs années suite à des problèmes de santé et considère les animaux, comme les poules qu’il possède, comme des compagnons de vie.



Les salades du repas de midi!


Le couple vend des produits bruts mais fait également de la transformation. De la farine est produite à partir de leurs céréales ; des confitures, des gelées et du jus sont produits à partir des fruits, qui peuvent être également séchés grâce à leur déshydrateur. Le pressoir pour faire de la confiture de groseilles est à manivelle : c’est important pour Martin d’être le plus indépendant possible de l’électricité.



« Il est important que chacun travaille son sens pratique, expérimente, apprenne à se débrouiller manuellement et ne soit pas dépendant de machines électriques ou d’internet. Si l'électricité vient en effet à manquer pendant plus de deux jours, beaucoup de personnes seront perdues. » Martin


Martin aime transmettre son savoir : il prend le temps d’expliquer et s’assure que son interlocuteur a bien compris. Il partage sa passion de la permaculture notamment tous les samedis lors d’un tour de 2h pour 10€. Les plus gourmands des visiteurs pourront ensuite déguster des pâtisseries réalisées par Veronica.




Les recettes du couple proviennent de 3 sources principales : la vente au sein du magasin (400€ bruts/mois en moyenne sur l’année), les paniers de consommateurs via la « Solidarität Landwirtschaft » (1260€ bruts/mois), ainsi que les visites du jardin permacole organisées d’avril à octobre. Martin et Veronica nous confient qu’il est donc compliqué de vivre seulement avec le jardin permacole et qu’il est important d’avoir un travail à côté ou une retraite complémentaire dans leur cas. Tout dépend aussi de la sobriété de vie désirée. Comme disait Alphonse Karr : « Il y a deux manières d’être riche : élever son revenu au niveau de ses désirs, abaisser ses désirs au niveau de son revenu. »


En discutant avec lui des projets de vie communautaire, Martin insiste sur l’importance d’avoir chacun son individualité et fait le lien avec l’Union Européenne. Pour lui, les personnes à sa tête tentent de mettre dans un même panier des cultures et des nations différentes et sont mal intentionnées. Il voit la société comme un château de cartes qui ne va pas tarder à s’écrouler puisque basée sur trop de mensonges. « La vérité finira par triompher! » nous dit-il.


Lorsque nous demandons à Martin le message qu’il souhaite faire passer à nos lecteurs, il nous dit sans hésiter :

« Ne croyez pas tout ce que l’on vous dit. Requestionnez à chaque fois, ayez un regard critique, testez par vous-mêmes. Ne suivez pas la masse mais votre cœur. Ne soyez pas des marionnettes, vous avez chacun votre propre capacité de réflexion. »

Il nous cite deux proverbes pour appuyer ses propos : « Seul le poisson mort va dans le sens du courant. » et « Seul le poisson nageant contre le courant peut remonter à la source. »


La situation actuelle est critique. En l’espace d’une génération, le couple a vu disparaître de nombreuses haies dans le paysage, des oiseaux, et a remarqué que les insectes étaient bien moins nombreux qu’auparavant… Cependant, Martin croit à la relève et, bien que la situation soit critique, il nous dit :

« Ne baissez pas les bras, ne soyez pas découragés. Il faut garder la tête haute et se réveiller ! »

Cécile CAILLAUD et Marie BAUER

Site de Veronica et Martin HESCH: www.biohof-emersacker.de

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