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R.A.M. ou expérimenter la ferme circulaire

Dernière mise à jour : 28 juin 2019

Radici A Moncalieri (R.A.M) signifie "Racines à Moncalieri", une ville bourgeoise à deux pas de Turin. Ce sont deux frères et leur cousin qui, plus ou moins après leurs études, ont décidé de reprendre la maison de leur tante et des terrains alors à l'abandon pour en faire une ferme basée sur le biomimétisme : inspirée des écosystèmes naturels.

Aujourd'hui, le projet réunit 5 jeunes agriculteurs, tous nés dans les alentours. Ils ont entre 25 et 35 ans, l'énergie et l'humour ne manquent pas ici. Le projet est encore frais mais tous ces jeunes ont le courage de lancer leurs expériences.

Ici, les déchets des uns sont les produits des autres, l'énergie dégagée quelque part est utilisée ailleurs : l'objectif est de boucler la boucle, comme dans un écosystème naturel ! Bières, légumes, céréales, chanvre, salades et poissons en aquaponie, fromage de chèvre, miel et fruits sont produits ainsi sur près de 16 ha.


Filippo, un des deux frères

Andrea, le nouveau de l'équipe

Si quelqu'un veut joindre l'équipe de R.A.M. et lancer sa propre activité sur la ferme, aucun problème! Il n'y a pas besoin d'apporter de l'argent pour se lancer, c'est la communauté entière qui paie, il faut juste être motivé !


Comment fonctionne la ferme ?


Voilà par quoi commence Andrea pour nous expliquer le fonctionnement de la ferme : le schéma théorique que l'on va suivre pas à pas, une sorte d'objectif théorique que ces jeunes agriculteurs se sont mis au lancement du projet.


Schéma explicatif de la ferme circulaire à R.A.M.

Mais le projet est sans cesse redéfini, remodelé, pour accueillir de nouvelles idées, des nouveaux projets, et le schéma change donc rapidement !


L'eau, l'élément initial du cercle


L'eau est l'élément de départ du cycle sur le schéma. Pour l’irrigation majoritairement mais aussi pour produire la bière, les quantités d'eau utilisées sont énormes. Des installations ont donc été mises en place pour récupérer l'eau de pluie. Elle est alors pompée jusqu'en haut du terrain et stockée en attendant de servir à l'irrigation des nombreux fruits et légumes, de l'orge et du houblon qui se trouvent juste à côté.


Réservoirs de 1000L en haut de la ferme

La production principale : la bière


Depuis le lycée, Filippo et son frère Nicola fabriquent de la bière pour leur plaisir. Ils ont gardé leur matériel et peaufiné leurs recettes pendant plus de 10 ans. C'est pour son mémoire de fin d'étude en agronomie que Filippo étudie la possibilité de cultiver du houblon sur la terre de sa tante. Après s'être formé à la permaculture, il élabore le design de sa future ferme sur cette terre et commence à planter de l'orge et du houblon. C'est ainsi que naît la ferme R.A.M et la brasserie B.A.M (Brasserie Agricole de Moncalieri) en 2017.

C'est donc autour de cette activité que s'est construite la circularité de la ferme.


Filippo dans le champ d'orge

Pour faire de la bière, Filippo et Nicola cultivent 3 ha d'orge (orzo) et 0.1 ha de houblon (luppolo).


Plantation de houblon face à la plaine du Pô

L'orge est récolté en juin et le houblon en septembre. Filippo emmène ensuite l'orge chez un malteur. Le but de la germination de l'orge est de produire des enzymes nécessaires à la transformation de l'amidon en saccharose (saccharification de l'amidon). Après germination, l'orge est séché pour stopper la croissance et l'on obtient du malt.

Après le maltage, on doit brasser la bière, c'est-à-dire concasser le malt, l'hydrater puis chauffer le mélange obtenu. C'est l'étape où l'amidon contenu dans le grain est transformé en sucre disponible pour la fermentation. Après filtration, le moût obtenu passe par une phase d'ébullition. C'est à ce moment que le houblon est incorporé. Ensuite, c'est l'étape de la fermentation alcoolique dans les cuves, qui transforme le sucre en alcool grâce à l'ajout de levures. La fermentation primaire va durer entre 4 et 8 jours puis la bière dite "bière verte" sera transférée en cuve de garde pour subir une fermentation pendant quelques semaines à température plus faible. Ensuite vient l'étape de l'embouteillage et la bière est prête à la vente !


Les bières de B.A.M.

De gauche à droite :

  • Une Pale Ale à haute fermentation et à malt clair donnant une bière ambrée et fruitée grâce à l'ajout de houblon à froid.

  • Une Doppel Bock (bière d'origine bavaroise) forte en alcool (9.5%), boisée et épicée.

  • Une Black IPA (Indian Pale Ale) à forte fermentation et à base de malt grillé donnant une bonne amertume et un goût de café à la bière. La haute fermentation des IPA était réalisée pour permettre une meilleure conservation lors du transport entre l'Inde et L'Europe. Elles sont aujourd'hui revenues très à la mode.

  • Une Italian Blonde Lager légère à basse fermentation et faible teneur en alcool.


Aujourd'hui, la bière constitue un tiers du revenu de la ferme. Elle est livrée dans certains bars à Turin ou vendue sur la ferme.


La cave à bières

Jusqu'en 2019, les deux frères fabriquaient leurs bières sur la ferme avec leur matériel. Aujourd'hui, le succès les obligent à utiliser des cuves plus grandes. Mais pour réduire les frais, les deux frères ont décidé d'aller élaborer leur bière chez un brasseur, tout en gardant bien sûr leurs propres recettes.


L'aquaponie


Revenons au schéma théorique : les déchets de culture vont pouvoir nourrir des poissons et permettre un autre cycle interne au cycle de la ferme : l'aquaponie. Un ingénieux système qui unit en circuit fermé l'élevage de poissons et la production de végétaux avec l'aide de deux bactéries : nitrobacter et nitrosomonas.


Filippo nous explique le fonctionnement de la serre

La serre est constituée de quatre longs bassins où flottent des plateaux en polystyrène accueillant les plantes.


Nuria, en service volontaire européen (SVE), ordonne les plateaux

Les salades, basilics, oignons et autres plantes qui ne grandissent pas trop en hauteur peuvent être cultivées ainsi. Les plateaux peuvent être disposés comme on l'entend sur le bassin et chaque petit plant peut être déplacé sur ces plateaux. Cela laisse une grande liberté pour gérer la densité des plants et faciliter la manutention. D'ailleurs sur l'eau il n'y aucune mauvaise herbe à gérer !


Les plantes sont alimentées par les nutriments que rejettent les poissons via leurs excréments. Celles-ci filtrent ainsi l'eau, qui retournera dans l'aquarium.


Bassin des poissons

Les poissons vivent dans des bassins situés au fond de la serre. Ils se nourrissent des déchets organiques de la ferme et rejettent de l'ammoniac (NH4) dans le milieu.

Cet ammoniac n'est pas assimilable par les plantes et comme dans un écosystème naturel, deux bactéries se chargent de le transformer en nitrite puis en nitrate (NO3-) assimilable par les plantes.


Zoom sur le bassin avec les substrats sur lesquels les bactéries se développent

Par ailleurs, l'objectif est d'arriver à élever des poissons pour la vente : ce sont principalement des carpes, mais de nombreux poissons peuvent être utilisés pour l'aquaponie, comme les poissons chat.


Filippo réorganise les salades qui ont trop levé

Les avantages de l'aquaponie sont nombreux :

  • Réduction de la quantité d'eau utilisée car l'eau reste strictement dans le système (pas d'écoulement dans le sol et évaporation très limitée)

  • Réduction et précision de l'apport en fertilisant pour les plants car les poissons s'en chargent

  • Croissance des salades deux fois plus rapide qu'en champ

  • Réduction de la concurrence avec les autre plantes (pas d'adventices)


Les inconvénients aussi :

  • La quantité de nutriments doit être contrôlée pour obtenir des salades qui poussent correctement

  • Faible résilience du système (réagit rapidement à de petites variations d'une variable, l'équilibre est difficile à trouver)

  • Nécessite de l'électricité pour le pompage

  • Utilisation conséquente de plastique


L'aquaponie n'est pas le projet de Filippo mais celui d'un ami, qui a quitté R.A.M. par la suite. Il essaie maintenant de continuer cette production et se documente sur la technique. Selon lui, l'aquaponie est un système intéressant mais il trouve dommage de ne pas utiliser la terre quand on le peut. Ce serait davantage pertinent en ville ou dans des zones dépourvues de sols fertiles.


Le fromage de chèvre et les oeufs


Revenons au schéma théorique: les résidus de l'orge, du houblon et de toutes les autres cultures finissent dans le bac à manger des animaux de la ferme. Les chèvres, poules et poissons fournissent du lait, des œufs et de la viande qui seront vendus ou consommés par nos cinq fermiers.

Les fèces et urines des animaux sont utilisés pour fertiliser de nouveaux les champs comme c'est le cas dans une forêt : animaux et végétaux se complètent.

Un des projets des garçons est aussi d'utiliser l'énergie gazeuse libérée par la dégradation des déchets organiques par les micro-organismes. La méthanisation se fait dans le bio-digesteur qui fournira du gaz pour toute la maison. Ce bio-gaz sera directement utilisé en cuisine ou bien il sera utilisé pour créer de l'électricité.

Zoom sur la partie animale du schéma général

Sur la ferme, c'est principalement Alesandro qui s'occupe des animaux. Tous les matins, il ouvre le tractopoule (tracteur à poules), un poulailler mobile qui permet les rotations de pâture, et nourrit ses 30 poules. Il récolte aussi les œufs à ce moment là.



Ale a commencé cette activité il y a 4 ans et c'est la première fois pour lui. Il semble heureux de s'occuper de ses animaux et fait bien attention à leur bien-être, ce qui est facile car il en a peu (40 poules et 12 chèvres).

"Les animaux de la ferme, contrairement aux animaux de compagnie, ne vous expriment aucun signe de souffrance. Il faut rester vigilant."

Deux fois par jour, il va traire ses 4 chèvres (les 8 autres ne produisant pas de lait en ce moment) puis les emmène paître. Les chèvres mangent les ronces et buissons, ce qui permet d'entretenir le petit bout de forêt pour pouvoir y emmener les enfants et couper le bois.

Pour faire vivre 1 actif il faut au minimum 25 chèvres en bio, nous dit Ale. Cependant l'objectif est d'intégrer les animaux dans l'ensemble de la ferme et non d'en faire une activité indépendante, le but serait donc d'arriver à une vingtaine de chèvres. D'ailleurs Ale ne travaille pas 100% dans la production animale mais il participe à d'autres tâches dans la ferme.


Ale et Clandestina, la première chèvre arrivée ici et la plus sage pour la traite

Pour la reproduction, le système est assez atypique : dans l'enclos il y a un bouc présent toute l'année et les mises bas se régulent naturellement ainsi. Pour le moment la moitié de ses chèvres mettent bas en mai et l'autre moitié en septembre ce qui lui permet d'étaler sa production de fromage sur l'année.


Égouttage du caillé du lait

Affinage des fromages


Ale n'a jamais fait de fromage avant R.A.M., et est encore au stade d'expérimentation dans la transformation fromagère. Mais ses fromages et ses yaourts ont déjà du succès dans la ferme et il compte bien apporter un peu de revenus à R.A.M en les vendant bientôt.


Le maraîchage et les arbres fruitiers


Ingénieur agronome, Andrea arrive à R.A.M. il y a 6 mois avec un projet : agrandir et améliorer la partie maraîchère de la ferme pour produire plus, tout en vendant mieux les produits. Il investit alors dans des serres et met au point un site de vente à la carte de paniers de fruits et légumes.


Andrea fait visiter le lieu de production aux responsables d'un GAS (Groupement d'Achat Solidaire)

En tout, il y a aujourd'hui 3 ha dédiés au maraîchage, sur lesquels poussent tomates, courgettes, courges, oignons, poivrons, choux etc.


Andrea récolte les courgettes tous les matins

En ce mois de juin, il faut récolter les fruits et les courgettes tous les matins. Les courgettes grossissent très vite et il faut garder une taille raisonnable pour conserver une texture croquante.


Courgettes avec leurs fleurs comestibles prêtes à la vente

Fraises, cerises, merises, mûres et mêmes certaines plantes aromatiques accompagnent les légumes dans les paniers livrés sur commande.


Betty avec notre récolte du matin

Pendant la saison, les paniers sont préparés et vendus tous les jours pour 10€. Le prix reste raisonnable selon Andrea.

"Nous souhaitons que nos produits restent accessibles à tous"

Vente des paniers de fruits et légumes bio

Tous les fruits et légumes qui ne peuvent être vendus sont transformés et le reste est donné aux animaux.


Le chanvre


5 hectares de chanvre et quelques lignes de pommes de terre ont été plantés cette année. Ce sont des cultures qui font partie d'une rotation où peuvent être cultivés seigle, maïs, sarrasin, colza etc.

Chanvre (droite) et plants de pommes de terre (gauche)

Le chanvre atteindra 4 mètres de hauteur et sera utilisée de plusieurs façons. La partie ligneuse au centre est utilisée dans la bioconstruction pour faire des briques ou des granulés pour le chauffage et la fibre externe sera utilisée pour faire des panneaux isolants ou des vêtements.


La fibre est séparée de la partie ligneuse puis stockée.


Fibre pour l'isolation ou le textile

La partie ligneuse sera ensuite cassée dans la machine à décortiquer pour obtenir des copeaux et fabriquer les briques.


Andrea nous montre où sera installée la machine à décortiquer la partie ligneuse du chanvre (gauche)

L'ensemble de la plante est utilisable, elle est parfaite pour une économie circulaire :

  • Les racines sont utilisées en cosmétique.

  • Les fleurs sont utilisées pour extraire du CBD, molécule utilisée en médecine pour lutter contre plusieurs maladies comme les maladies de peau.

  • Les graines sont utilisées pour faire de la farine.

  • Les feuilles sont données à manger aux animaux ou utilisées en tisane.


Tout est bon dans le chanvre. L'objectif ici est davantage de valoriser toutes les parties de la plante mais cela demande plus de travail et de temps que pour une production spécialisée, à destination textile par exemple, avec une variété sélectionnée et du matériel approprié.


L'activité sociale dans la ferme


R.A.M c'est aussi une ferme pédagogique qui reçoit des classes scolaires environ une fois par semaine pour apprendre aux enfants d'où viennent les produits qui finissent dans leurs assiettes.

"Intégration, coopération et inclusion sociale sont les valeurs sur lesquelles se fonde notre éthique."

R.A.M tire d'ailleurs un tiers de son chiffre d'affaire grâce aux sorties scolaires organisées avec les écoles alentours.

Mais ce n'est pas seulement un partage avec les écoles qui se fait, R.A.M. s'ouvre aussi beaucoup aux groupes qui souhaitent apprendre sur l'agriculture en général.


Nicola explique le principe de la ferme aux visiteurs

R.A.M. a aussi comme projet de construire un écovillage dans la forêt pour recevoir des groupes d'enfants sur plusieurs jours, des personnes en SVE (Service Volontaire Européen) comme Nuria, des woofers, des travailleurs ou des groupes de personnes en formation.

"Ici, on est capable d'être ouverts, d'accueillir des gens. La semaine prochaine on a engagé un sénégalais pour l'aider à avoir ses papiers et donc à rester en Italie 6 mois de plus."

Après le repas avec les 5 associés, Nuria qui est en SVE et Betty et Floris en tant que woofers

Comment fonctionne économiquement la ferme ?


L'économie circulaire est une méthode reconnue économe car elle réduit les coûts en intrants et optimise les rendements. Néanmoins, cela nécessite beaucoup de gestion et d'organisation donc beaucoup de temps. Mais finalement, ne serait-ce pas un retour au système de polyculture-élevage d'il y a 50 ans ? Les petites exploitations familiales avaient des animaux, un verger, un potager, des champs de céréales et de fourrages, des prairies. Tout dans l'exploitation était réutilisé par idée de recyclage (cycle) ou de retour au sol. Les intrants étant peu nombreux, les charges sont moins importantes que sur des exploitations hyper-spécialisées comme celles d'aujourd'hui. R.A.M. serait donc une approche académique de ce système, qui essaie de le moderniser (notamment avec l'apport de l'aquaponie), et gérée par des jeunes qui expérimentent eux-même leurs idées et réalisent les projets qui les tiennent à cœur, comme nous l'explique Andrea :

"C'est très jeune ici, ce qui signifie que nous sommes en dehors de certaines structures mentales qu'ont parfois les vieux agriculteurs. Cela signifie que nous sommes capables de faire des expériences, des essais très facilement, sans même parfois y penser. Parfois même en perdant de l'argent, mais nous essayons de trouver notre voie."

Les cinq associés travaillent beaucoup et ne gagnent effectivement rien pour le moment. Mais R.A.M. a décidé de ne pas fonctionner avec les banques : l'argent emprunté provient de tiers-personne, ami ou directement les membres de la ferme. Pour faire au plus vite, tout le monde se sert la ceinture tant que les emprunts n'ont pas été remboursés. Le but n'est pas pour l'instant de gagner de l'argent, mais d'investir. On le voit d'ailleurs dans la diversification et le développement des activités de R.A.M. depuis le lancement de la ferme il y a 4 ans.

Par exemple, la ferme commence cette année à dégager suffisamment d'argent pour pouvoir investir dans une cuisine professionnelle qui sera aussi un laboratoire de transformation. Les jeunes hommes veulent transformer tous les produits invendables en sauce, confitures etc. De plus, certains d'entres eux sont de très bons cuisiniers, et veulent se lancer dans l'événementiel sur la ferme, avec une restauration basée sur les produits de R.A.M.


Cependant, si R.A.M fonctionne aujourd'hui, c'est également grâce au fait que les maisons et certaines terres appartiennent à la famille de Filippo, Nicola et Andrea (les deux frères et leur cousin). Ils ont donc une grande surface pour un loyer très bas. C'est encore une sorte d'aide qui sera remboursée dans le futur.


Pour conclure


Finalement, c'est à la fois le cadre familial, l'envie d'expérimenter, la passion pour la bière et les valeurs sociales et écologiques qui mènent ces jeunes agriculteurs. Ce sont autant de choses qui font baigner la ferme dans une atmosphère souriante et dynamique !

 

Betty Debourg et Floris Schruijer

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