Dans la banlieue Sud de Lima, les habitantes du quartier Villa EL Salvador se mobilisent pour créer un jardin partagé. Entre création de liens sociaux et réhabilitation de la place des femmes dans l'espace public, récit d'une aventure débutée il y a plus d'un an.
Dans le jardin, de multiples citernes fleuries permettent d’assurer l’irrigation quotidienne des plantations grâce à l’eau fournie par la municipalité.
Des femmes engagées pour réhabiliter leur lieu de vie
A Villa El Salvador, les poubelles et les déchets jonchent les trottoirs et les allées. Dans cette ville de la banlieue sud de Lima, le service de collecte n’existe qu’en pointillés : “La municipalité qui s’en met plein les poches, baignée par la corruption, n’a plus d’argent pour financer les services publics.” nous explique-t-on. Dans les rues, au bord des routes, on croise des femmes au regard éteint. Dans ce quartier gangrené par la violence et le machisme, leur quotidien n'est pas toujours facile.
A Huerto Ayllu 21, les femmes ont le sourire et le visage lumineux. Depuis un an, elles ont décidé de s’approprier leur territoire. C'est sur un terrain vague de quelques centaines de mètres carrés occupé par une décharge, des chiens errants et des dealeurs de drogue qu'elles se sont installées de leur propre initiative.
Lola (1), une habitante du quartier nous fait visiter le jardin. Très impliquée dans le projet depuis sa création, elle vient ici tous les jours pour effectuer quelques travaux comme ici, où elle rempote de la menthe. Cette aromatique est utilisée non seulement pour la consommation mais aussi pour faire fuir des insectes ravageurs comme les doryphores.
Les pneus qui jonchent le sol sont désormais emplis de fleurs. Des bouteilles en plastique, sortent de jeunes pousses d’aromatiques et autres succulentes. Dans les pots de yogourts germent les semillitas. Sacs poubelles et coquilles d’oeuf servent à présent de support aux jeunes plants... Ici tout déchet devient une ressource. On s’adapte, on invente, on se débrouille, on crée du lien.
L'entrée du jardin est égayée par ces plantations qui jaillissent des pneus collectés par les femmes sur le terrain à leur installation.
Des jeunes plants de piment sont nés dans des coquilles d’oeuf, que les femmes ont décorés.
D'une décharge à un potager : transformer un terrain vague en une oasis de paix.
Depuis un an, le terrain exploité par les bénévoles de Huerto Ayllu 21 a bien changé. Quinze familles du quartier se partagent désormais le jardin, découpé en 40 petites parcelles de 4,5m de long sur 1m de large. Et se sont principalement les femmes qui y font du maraîchage et y cultivent des plantes aromatiques.
Les parcelles sont alignées en colonne de 4 et alimentées par une citerne. Disposées à l’ombre des Molles, elles contiennent, pour la plupart, un plant de ruda. Peu exigeante, cette espèce possède de nombreuses vertus médicinales.
Cultiver ce terrain n'est pourtant pas une mince affaire ! Et pour cause : du fait de sa grande proximité avec l'océan Pacifique, à 3 km, le sol est constitué d’un mélange de poussière et de sable ce qui le rend particulièrement impropre à la culture. Il est donc indispensable d’y apporter une litière organique et de bien gérer la fertilité du sol.
Après une phase de nettoyage du terrain, les femmes ont ainsi commencé par planter des arbres sur le terrain vague. Les arbres sont en effet connus pour leur capacité à capter l’eau et les ressources en profondeur mais aussi à produire de la biomasse disponible pour la fertilisation des cultures. Leur présence améliore la structure du sol et assure de surcroît l’ombrage des cultures. Molles (Schinus molle), moringas (Moringa oleifera), rudas (Ruda chalepensis) sont autant d’arbres et arbustes qu’elles ont choisis pour leur capacité à pour repousser les ravageurs des cultures.
Ces jeunes pieds de moringas serviront à revégétaliser un autre terrain qui sera lui aussi transformé en jardins partagés par les femmes du quartier.
Pour construire les lits de culture, rien de tel que le compost, fabriqué sur place par les bénévoles. Pas moins de 30 cm sur chaque parcelle sont nécessaires pour la mise en culture. La production de purin ainsi que l’achat de fumier de vache à des éleveurs de la région permet aussi de fertiliser les parcelles et de lutter contre certains ravageurs. Ces derniers posent en effet bien des problèmes si bien que les habitantes préfèrent éviter de planter du choclo (maÏs sucré) ou des pommes de terre, deux espèces qui les attirent particulièrement.
Le sol des parcelles est ainsi bien amélioré par ces diverses techniques de fertilisation. Chaque petit carré bénéficie en outre de son propre système d’irrigation en goutte à goutte relié aux citernes.
A la mi-mars, qui correspond à la sortie de l’été au Pérou, les femmes cultivent principalement des aubergines, du manioc, des poivrons doux, des piments ainsi que de nombreuses herbes aromatiques (aji, origan, menthe ou muña, persil, coriandre, thym…). Les semences sont produites sur place.
Chaque parcelle a sa particularité. Car dans ce jardin partagé, c'est la règle, chacun cultive librement son bout de terrain.
Sur la parcelle d’Alvaro et Evans, plusieurs plants de manioc sont cultivés.
Les productions sont principalement consommées par les familles, qui vendent cependant parfois une partie de leur récolte à des habitants du quartier, en vente directe ou sur le marché du district.
Si le jardin a d'abord eu du mal à se faire accepter par le voisinage, qui ne comprenait pas qu'un parc puisse contenir des légumes plutôt que des arbres et des fleurs ornementales, tous ont aujourd'hui constaté l'intérêt de cette production locale de nourriture. Ils saluent ainsi le gain en auto-suffisance alimentaire, qui plus est, avec une alimentation saine.
Un jardin partagé pour créer du lien et se réapproprier l'espace public
Outre les bénéfices liés à l'alimentation, le jardin contribue à renforcer les liens entre les familles du quartier. Lola nous raconte : « Au début, on ne se connaissait que très peu, et c'était compliqué de tisser de réels liens. Les femmes au foyer restaient majoritairement à la maison » En cause : l'absence d'espaces verts municipaux où sortir avec les enfants et se rencontrer en paix.
En l'espace d'un an, le jardin est devenu un véritable lieu de sortie pour les mères : “On a maintenant notre propre espace pour s'oxygéner entre voisines” insiste-t-elle. Autour de nous, les enfants jouent ensemble pendant que leurs mères échangent et travaillent sur leurs parcelles : “On s'assoit, on papote, on rigole, on se crêpe le chignon... On fait tout ici” plaisante-t-elle. A l'instar des jeunes garçons et des hommes qui se retrouvent fréquemment sur le terrain de foot du quartier, les femmes ont désormais elles aussi un lieu et une activité qui les réunissent dehors, dans l'espace public.
Les femmes du quartier ont pris l'habitude de se retrouver après leur travail, de 16h30 à 19h quand le soleil baisse et la température s’adoucit. Elles préparent ici les futurs plans pour leurs parcelles.
« Là, les femmes font enfin partie de la communauté. Et pas seulement en restant dans leur maison à garder leurs enfants. Les femmes sont en train de s'approprier l'espace public » conclut fièrement notre guide.
« Ici les femmes prennent conscience de leur capacité à réaliser des choses qui dépassent leur rôle de femmes au foyer »
De simple terrain vague, Huerto Ayllu 21 est finalement devenu un lieu plein de vie, d’échanges, de discussions, de lien social, d'entraide et de soutien, où on prend des décisions, où l'on se détend, on partage des repas, on fête les anniversaires et on danse. Il attire aussi quelques associations comme celle de Flores Tristan, dont fait partie Lola, qui utilise le jardin pour organiser des ateliers d’émancipation des femmes, de conscientisation autour du machisme, de lutte contre les violences sexuelles et conjugales, et de soutien des victimes.
Le préau tout décoré est particulièrement propice aux manifestations diverses qui rythment la vie du jardin.
Mais c'est aussi un lieu où des femmes entreprennent. Non seulement en cultivant à leur manière, mais aussi en se formant. : « Lorsqu'on a commencé, nous n'avions aucune expérience agricole. On a appris au fur et à mesure en pratiquant sur le terrain. Mais on a aussi rapidement bénéficié de l’appui du réseau Agricultura en Lima » explique Lola. Ce collectif, constitué d'une quarantaine d’organisations d’agriculteurs, d’ONG de développement, d’universités, œuvre depuis 2016 pour promouvoir et renforcer le développement durable de l’agriculture agro-écologique dans la ville et sa périphérie. Grâce à son concours, les porteuses du projet Huerto Ayllu 21 ont pu bénéficier de divers ateliers de formation sur des thématiques aussi variées que la production agro-écologique, la commercialisation, l’impact politique ou encore le développement organisationnel. Une chance pour ces agricultrices en herbe !
Ces dernières sont d'ailleurs désormais accompagnées par Jenifer, une ingénieure agronome du réseau. Jennifer vient 2 fois par semaine donner des conseils sur les itinéraires techniques et l'organisation des cultures, la gestion de l’eau, des semences et du compost. « Ici les femmes prennent conscience de leur capacité à entreprendre, à réaliser des choses qui dépassent leur rôle de femmes au foyer, à sociabiliser et à prendre part à un projet d'agriculture urbaine. » se félicite-t-elle.
Un sentiment que partage Lola : « Avec ce jardin, on crée du lien, on améliore notre cadre de vie, on contribue à un environnement plus propre, on sensibilise les habitants à l'agriculture… [...] Finalement, Huerto Ayllu 21, c'est un peu notre réponse face aux enjeux de développement durable de notre siècle. »
Depuis peu, les bénévoles de Huerto Ayllu bénéficient du soutien financier du comité municipal de l'environnement et du développement durable. Un moyen de se mettre en réseau avec d'autres associations environnementales de la ville et de s'engager un peu plus pour la préservation de l'environnement.
De leurs réussites, des nombreux soutiens qu'elles ont reçus, les apprenties maraîchères de Huerto Ayllu 21 ont ainsi tiré une force nouvelle. Une force qui leur fait naître une voix. Elles, qui subissaient un environnement insalubre et parfois violent affirment désormais vouloir revendiquer ce droit à s'approprier l'espace public et à vivre dans un cadre de vie sain. Et par dessus tout, elles veulent maintenant reproduire et propager cette oasis de paix qu'elles ont su faire naître.
Cet article a été réalisé grâce au concours de Lola, Paula et Victoria Arce, trois habitantes de Villa el Salavador très impliquées à Huerto Ayllu 21. Nous avons pu passer deux jours en leur compagnie par l'intermédiaire de l'association CENCA. Le CENCA est un institut de développement urbain basé à Lima qui fait partie de l’ANC “Asociación Nacional de Centros”. Il travaille sur des vastes problématiques autour de l'amélioration de l'habitat et de l'environnement, du genre et de l'économie solidaire. Il contribue au développement des capacités des femmes et des hommes et à la conception des politiques publiques et travaille principalement avec les organisations sociales et les gouvernements locaux. Nous avons travaillé avec Freyre Pedraza, qui est ingénieur agronome au sein de cet institut et en charge spécifiquement des projets liés à l’agriculture urbaine à Lima. site internet du CENCA : https://www.cenca.org.pe/inicio/
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